Marc, mon fils, ma bataille et plein d'autres choses.

Je ne t'ai plus écris depuis Noël dernier. Mon blog n'est qu'un éxutoire ponctuel. Certains amis, comme Patrick, papa d'une petite Judith depuis quelques mois, Chloé ou Antoine (trois fois papa!) m'ont bien recommandé de continuer, mais te savoir si loin, savoir que tu ne pourrais de toute manière pas me lire pour l'instant a nettement éprouvé mon courage à m'exprimer ici.

Pour m'évader, pour essayer d'atténuer la pesante omiprésence de ton absence prolongée, j'ai puisé en moi ces derniers temps et j'ai redécouvert le goût pour la lecture intensive, dont j'ai été longtemps incapable suite à ton départ brutal. Elle m'accompagne à nouveau, et plus exclusivement celle de journaux ou d'essais. Parfois mécanique devant des romans médiocres que je me force à terminer, parfois empreinte d'une passion envoutante dont découlent des sensations physiques, lorsque les histoires dans lesquelles je me glisse touchent à la densité de la vie humaine et à ses expériences géniales, magiques, pénibles ou douloureuses. Tu dois à moitié l'ignorer, mais on vit un truc profond, pas commun. Une torture pour moi. Il s'agit pour toi aussi, à court ou moyen terme, d'une calamité. J'en ai la certitude, te retrouver durablement éloigné de ton papa, sans qu'aucun de nous deux en ai décidé ainsi, ce n'est pas cool, c'est même dégueulasse. J'en suis persuadé, on est tombé sur un personnage de roman, bien glauque, dont les jolis traits du visage et le sourire enfantin cachent une menteuse pathologique doublée d'une manipulatrice tragiquement égoiste et dénuée de scrupules.

De ce roman encore en cours, malheureusement pas du tout fictif et dont la dernière année demeure très triste, j'adorrai devenir le héros, ton héros de papa qui se bat pour toi, qui se bat pour qu'on se retrouve. Mais comment définir comme une lutte l'amoncellement de documents judiciaires, l'attente des décisions des magistrats puis des résultats des appels de la partie adverse (ta mère se fait systématiquement débouter mais prolonge ainsi la procédure), pendant des mois, les heures passées à rédiger des mails, à téléphoner à des avocats, l'argent employé à payer leurs honoraires (tu diras un jour merci à grand-père...)? C'est délicat mon chéri, mais la voie de la raison, de la conscience, la confiance en la justice de deux démocraties récentes mais avancées comme le sont l'Argentine et l'Espagne m'a commandé d'emprunter le tortueux chemin judiciaire. J'allais quand même pas faire appel au Mossad pour que tu reviennes! C'est vrai, je le reconnais, lors de certaines crises de désespoir j'ai pensé à contacter Nicolas Sarkozy. Tu sais, celui au sujet duquel Michaël demande parfois à Elliot: "Et nous on l'aime bien, Nicolas Sarkozy?" -"Noooooooonnnnnnn", tu l'avais d'abord repris en choeur avec Elliott, l'imitant pendant que vous accentuyiez votre négation d'une drôle de gestuelle. Et puis les quelques fois oú je te l'ai demandé à mon tour, entourés de copains qui me reprochaient amicalement de vouloir te formater politiquement. "Nooooooooooonnnnnn", tu faisais avec une application complice et en souriant. Il y avait une sincérité dans ton expression qui me laissait même penser que cet éminent personnage dont tu avait déjà apperçu l'image ou la photo ne t'inspirais pas vraiment confiance. Je me souviens notamment que Steph Dach' m'avait gentiment réprimandé pour ce questionnement à réponse induite. Tu sais quoi, ce fêtard invetéré va lui aussi être papa! Le ventre de "sa" douce Karen grandit à vue d'oeuil, et il aura sûrement bientôt plus de mal à l'appeler "bébé". Je mets des guillemets à "sa" pour échapper à la connotation de domination, et la notion de féminisme me vient à l'esprit.

Le féminisme, j'y crois. Je me suis souvent déclaré féministe. L' héritage de siècles de réduction du rôle de la femme dans la société, de semi-esclavagisme ou d'oppression met du temps à se résorber. Dans la plupart des cas leur droits civiques datent d'il y a moins d'un siècle. Il y a encore plein d'inégalités à limer. C'est un combat juste. Mais l'évolution du droit dans certains pays ne doit pas dissimuler l'hégémonie maternelle régnant en général dans le droit de la famille et au sujet des enfants mineurs. (Et dans son application, très important l'application...) On serait en droit, pour ce chapitre bien précis, de se réclamer d'un "masculinisme", de l'avénement des revendications des papas du XXI ème siècle dont le rôle est aussi important pour leur progéniture que celui des mamans.

Le féminisme, ta mère s'en réclamait à l'époque. Malgrè cela il y a quelques mois j'ai découvert que sur son profil Facebook elle avait "adhéré" à un groupe qui sous couvert d'humour édictait des normes d'humiliation des mecs ("Código femenino", en espagnol, plus de 80.000 "fans" quand même...) Elle s'en est sagement retiré depuis, je suppose qu'elle a dû penser que ça ferait mauvais genre pour une mère qui a kidnappé son propre fils, l'arrachant à son père. (En matière juridique je ne sais pas mais en sentiments et en vie de merde de papa qui ne voit pas son fils depuis plus d'1 an, c'est un kidnapping!) Humilier les mecs (ça te concerne aussi en tant que "p'tit mec" même si tu ne le comprendras que plus tard) ce n'est pas ça le féminisme, bien heureusement.

Mon désarroi me donne parfois envie de m'adresser à des personnes qualifiées. Malgré mes tentations passagères, Sarkozy ne ferait probablement pas l'affaire. Mais on me dit que le "défenseur du peuple" du Royaume d'Espagne n'accelerrait pas lui non plus nos retrouvailles. Pas plus qu'une quelconque ambassade ou que le tribunal de Strasbourg. Rien ne semble pouvoir abréger la lente progression vers le respect de nos droits. Démarcher la presse? Ben non, on ne va pas faire de notre vie un spectacle, même si notre amour vaut bien celui d'une famille de mineur chilien séparée d'un de ses membres pendant trois mois.

Tu vois, avec les gens qualifiés ça n'a pas toujours l'air d'être ça. Alors je prends des fois des initiatives débiles. J'ai échangé des messages à ton sujet avec le chanteur de "La Habitación Roja", par exemple. C'est pas rien, t'as quand même chanté plein de fois leurs chansons sur mes épaules! Et bien saches quand même que quand tu reviendras on pourra sûrement le rencontrer. Il est papa de petites filles qui restent en Norvège lors de ses interminables tournées, et la distance entre eux lui fait ressentir une frustration provisoire incomparable à celle que je vis, mais bien réelle.

Je ferai tout pour redevenir ton héros du quotidien, celui qui te menace d'une fessée en rigolant alors que tu tardes à te brosser les dents ou à mettre ton pyjama, celui avec qui tu fais tes devoirs, celui avec qui tu vas faire du vélo, celui qui te met sur la voie du respect, de la tolérance et de la camaraderie avec les autres enfants dans les jardins publics. Également celui qui t'apprends à te méfier des cas désépérés de méchanceté ou d'excès de roublardise.

Me rendre en Argentine et y passer presque tout le mois d'Avril n'aura donc pas suffi à ce qu'on ne passe ne serait-ce que quelques heures ensemble. Je ne regrette pas ce voyage. Les exploits de Maradona me rendirent ce pays sympathique dès mon enfance mais sa perception par mon imaginaire s'était considérablement noircie depuis que cette République sudaméricaine s'est convertie en ta terre d'exil involontaire. Les argentins chaleureux, aimables, acceuillants et généreux que j'y ai rencontré y ont rétabli la lumière.

"¡Excelente en geometria!" Les dernières nouvelles de toi, au téléphone, il y quelques jours. Je t'appelle à l'école. Ça évite -entre autres- à ta maman de te dicter tes paroles. T'entendre dire que tu penses tout le temps à moi et que tu veux qu'on se retrouve me fait souvent pleurer quelques heures plus tard mais me donne beaucoup de force. Ton niveau de maniement du français a un peu régressé mais ça reviendra vite, on remarque que ton papa te parle français depuis que tu es bébé.

Noël, puis, ton anniversaire (8 ans), la fête des pères, mon déménagement-qui aurait du être notre déménagement-, l'eté à la plage, à la piscine, al huerto, avec tes cousins, cousines... La rentrée des classes il y a peu... Le temps s'écoule, le temps passe. La présence de ton absence ne s'estompe pas. J'ai découvert l'Argentine mais je n'ai même pas pu t'y voir.

Tu as eu huit ans, donc, le 14 Juillet. L'année dernière, bien que ce soit en semaine, qu'en Espagne ce jour ne soit pas un jour férié, et pour cause, j'avais réussi à m'échapper du travail pour passer l'après-midi avec toi. Je m'en souviens bien, toi aussi sûrement. Je t'avais expliqué que je ne t'avais pas apporté tes cadeaux, mais qu'ils t'attendaient a la maison. "T'as bien fait" tu m'avais dit. Et le week-end suivant tu trouvais, mal emballés mais soigneusement disposés sur ton lit, les quelques jouets et bouquins que je t'avais acheté. Putain on était heureux ensemble quand même! Oui je sais, j'ai dit putain, mais bon, une fois, alors que je te demandais de faire quelquechose, tu m'avais dit "Papa, tu fais siéééé!" ét je ne m'étais même pas fâché...Il faut dire que ton sourire innocent genre "c'est une blague" avait promptement succédé à ton air de provocateur endurci, parvenant à adoucir ton propos.

J'ai à nouveau rangé ta chambre, récemment, dans un nouvel appart ou tu n'es pas encore venu. J'aurai adoré que tu participes au déménagement, qu'on décide ensemble de l'emplacement des meubles, des rares bibelots.

À la fêtes des pères on était pas ensemble non plus, donc. Je n'en ai pas grand chose à faire, moi, de la fête des pères. La fête des pères c'était chaque jour que nous passions ensemble...

Depuis un an je ressens souvent l'envie de hurler. Mais j'y renonce, sachant que cela resterait vain, sans conséquence. Ta mère a voulu t'enlever ton papa, le remplacer, voila tout. Se taper un délire, se tirer en Argentine en méprisant nos liens affectifs puissants, en méprisant la loi. Soustraction internationale de mineur. Ça parait grave quand même. Mais bon sang, même si les quelques décisions judiciaires qui nous concernent vont dans le bon sens, un an a passé!

J'essaie de garder confiance. Il semble que ça durrera plusieurs mois encore. Ta chambre est prête. Il faudra juste qu'on rachète des vêtements, des chaussures...T'as dû pas mal grandir. J'ai un gros pincement au coeur quand je vois des enfants qui ont à peu près ton âge, je me demande s'ils ont 7, 8, 9 ans? Je les aime bien et ils ont l'air de me trouver sympa. Je sens une espèce de fébrilité mais je retiens mes larmes en leur présence.

Je t'aime. T'es mon fils, je suis ton papa. On nous empêche d'être l'un avec l'autre depuis plus d'un an. Mais je me bats. Avec les armes limitées que j'ai tenté de te décrire. Mais je me bats. Je t'aime.

Comentarios

Unknown ha dicho que…
Je suis arrivée ici à travers tes commentaires sur le Facebook de Thierry. C'est énormement émouvant tout ce que tu dis. Je trouve que tu ne devrais pas t'arrêter d'écrire ici. C'est bon pour toi et c'est bon aussi pour ton fils. J'espère de tout mon coeur que la justice fera ce qu'il faut et qu'il sera bientôt près de toi. Ne perds pas le courage! Bisous, Elvira
Unknown ha dicho que…
Moi, tes mots me font pleurer...parce que tu écris avec ton cœur et qu'à aucun moment tu ne sombres dans une colère rancunière. Je suis heureuse d'avoir retrouver le fil...et tu retrouveras ton fils. Les puits d'amour sont infinis.
Et comme le dit Elvira, continue d'écrire !
Love
Chloé

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