Les élections espagnoles du 10 novembre 2019

                                                                             

    
                                                                        
 C’est une impression d’Italie qui se dégage du climat du Royaume, qui affronte une instabilité inusitée depuis la mise en marche de sa démocratie parlementaire en 1978. La fin du bipartisme hégémonique et l’incapacité des dirigeants de tous bords ont provoqué différents blocages qui nous ont conduits à nous diriger aux urnes pour la quatrième fois en quatre ans ce 10 novembre.

Une majorité inopérante à l’Assemblée et une storytelling estivale médiocre

Le PSOE ne nous a pas déçus, sa majorité -très- relative obtenue en avril à l’Assemblée l’obligeant à négocier. Son veto à Pablo Iglesias pour un poste dans l’exécutif et ses négociations mort-nées pour un accord de gouvernement avec Podemos ont comblé le défaut d’information en été et donné du travail aux chroniqueurs de tout poil. La teneur de ces négociations, menées sans conviction et constituées d'allées et venues et de dérives psychologisantes n’a rien eu à envier à certains programmes de télé-réalités. Le manque de confiance réciproque, la supposée inexpérience des cadres de Podemos proclamée par des dirigeants socialistes regroupés derrière un leader dont l’expérience à de hauts postes de responsabilité jusqu’à ce qu’il devienne chef du gouvernement grâce une motion de censure ne sautait pourtant pas aux yeux…l’évidence de nouvelles élections est apparue à Pedro Sánchez, les communicants de ce dernier lui assurant plus de sièges et l’espoir de gouverner avec une majorité relative, mais aux plus amples contours. Caramba, encore raté ! Le nombre de sièges du PSOE se voit amputer de ceux de trois députés et atteins désormais les 120, la droite du PP remonte quelque peu, le parti Ciudadanos, allié de Macron (qui va devoir s’en trouver d’autres) s’écroule à 10 députés et Vox, l’extrême droite ouvertement franquiste, raciste, xénophobe et homophobe triomphe, après son entrée déjà remarquée aux « Cortes » d’avril, se retrouvant avec plus de 50 députés et troisième force politique du pays.

A noter la présence, à la tête de la fine équipe de communicants qui a jugé bon de remettre une pièce dans la machine, de Ivan Redondo, chef (l’équivalent de directeur en France) de cabinet du chef (décidément 😉) du gouvernement de l’État espagnol. Un vendeur de lessive qui a, dans le passé, conseillé plusieurs politiciens ultraconservateurs du PP. (Coucou Raphaël Glucksmann).
Ces même brillants stratèges, devant le scénario d’un manque d’entente à gauche, ont ensuite mis en scène une pathétique « tournée des popotes » d’associations et de syndicats marqués à gauche ou écologistes afin de recueillir leurs propositions. Tout un symbole de l’indigence des orientations politiques que porte Pedro Sánchez, qui avait déjà fait preuve de plusieurs renoncements pendant son mandat. Ces mêmes communicants « socialistes ont jugé bon le slogan « Ahora Gobierno, ahora España", littéralement « Maintenant le gouvernement, maintenant l’Espagne ». Pour ce qui est de gouverner, le blocage est de nouveau assuré et les conditions numériques du dialogue à gauche en vue d’un gouvernement Sánchez II qui obtienne une majorité absolue sont quasiment identiques.

Une droite espagnole irrémédiablement post-franquiste

 Si les années Rajoy ont constitué une sorte de pis-aller néolibéral inféodé aux politiques de Merkel, ne nous y trompons pas, l’espèce de candeur bureaucratique qui se dégageait du personnage dissimulait le retour en force d’un nationalisme ultra catholique, réactionnaire et post franquiste n’hésitant pas à jeter de l’huile sur le feu latent catalan. En sus d’une flexibilisation accrue du marché du travail.

 Ce post franquisme s’assoit désormais sur trois pattes électorales, deux pattes et demie et au niveau national suite à la déroute de Ciudadanos. Trois forces capables d’obtenir des députés et de faire bloc comme elles le font désormais au sein des exécutifs andalous, murciens ou de la communauté de Madrid, tous soutenus par l’extrême-droite dans une entente des plus cordiales. L’ultralibéralisme liquide contenu dans de vieux bocaux rigides et empreints de nostalgie dictatoriale, voilà ce que nous propose le tripode droitier. Car si Vox fait figure d’épouvantail néo-fasciste, ne nous y trompons pas, nous sommes en présence d’un triangle dont les angles sont interchangeables. En effet, les postulats économiques de Vox, au contraire de ses nombres de ses homologues d’extrême-droite européens, sont accès sur des options dérégulatrices et un libéralisme à tout crin. Une orientation qui se résume à faire baisser les impôts des riches tout en faisant financer l'État par les pauvres. Au sujet de cette orientation, un exemple nous éclaire : le souhait non dissimulé de la privatisation de la sécurité sociale. Le volet économique de cette extrême-droite de petits marquis recueille également bien sûr nombre de mesures visant à compliquer l’accès des immigrés au marché de l’emploi, aux aides sociales ainsi qu’à la santé publique. Se souhaitant dignes de Le Pen ou de Salvini, les dirigeants de Vox puisent malgré tout souvent leurs racines dans les entrailles du Parti Populaire, un parti qui, lorsqu’il les dissimulait en son sein, participait de l’idée fortement répandue d’une absence de brunisme sur l’échiquier politique ibérique. Les autres nous arrivent directement de groupuscules franquistes tels que la phalange et le tout est emballé dans un marketing à la Trump.

 L’exemple de l’ascension du fascisme ces dernières années dans d’autres pays du continent n’aura pas suffi. Si rares sont les partis à s’être frontalement attaqué à Vox, signalons cependant la dignité du PNV (parti nationaliste basque) dans cet exercice. La tiédeur de nombre de journalistes et de commentateurs n’aura pas aidé. Le naufrage de la pseudo « nouvelle droite » de Ciudadanos- partenaire de LREM et bref squat de l’inénarrable Manuels Valls- aidant, Vox se renforce et tout semble indiquer leur incrustation dans les institutions se profile comme durable. Et si les trois droites n’ont eu de cesse d’agiter les braises des feux territoriaux latents, qu’ils soient Basques ou Catalans, Pablo Casado, le nouveau champion du Parti Populaire aux idées fluctuantes semble en mesure de reprendre le leadership à droite, suivi par Vox, qui profite dans les grandes largeurs de cette dérive droitière et qui saura, n’en doutons pas, lui imposer son agenda.

Le conflit en Catalogne

 La décision judiciaire du 14 octobre proclame la culpabilité pour sédition et détournement de fonds (suite à l’organisation d’un référendum illégal), non seulement des responsables politiques qui ont permis une déclaration factice d’indépendance, mais aussi à deux responsables associatifs qui n’avaient rien demandé. Les lourdes peines de prison qui échoient aux différents condamnés ont de quoi indigner. Les peines de prison de 9 à 13 ans et les velléités de nationalistes espagnols et catalans nous assurent de la pérennité du conflit. Mais Vox, partie civile dans ce procès médiatique, s’est plaint de l’absence de condamnation pour rébellion et a joué sur le climat politique en Catalogne, permettant à son influence de croître dans le reste du pays, chez les nationalistes espagnols. Nombre d’observateurs omettent par ailleurs de prendre en compte le vote d’exaspération sociale à la suite d’années de crise, à des inégalités en incessante augmentation et aux recettes éculées proposées par les partis traditionnels.

Le lancement sur orbite de Más Pais

Iñigo Errejón, connu pour ses positions plus conciliantes que celles de Pablo Iglesias avec la social-démocratie dite de gouvernement, et auteur avec Chantal Mouffe d’un ouvrage ou s’esquissaient des réponses aux problèmes liés à l’unité territoriale espagnole, s’est donc émancipé. La reproduction du modèle dit d’« hiperliderazgo », tel celui d’Iglesias à Podemos semble malheureusement se reproduire. Logo électoral a son effigie, lieutenants peu connus, expérience incertaine, reconnaissons-lui malgré tout un discours théorique séduisant. L’apport de la majorité des militants du parti « Equo », les Verts espagnols, qui ont massivement rejoint ce nouveau parti de très récente création, lui confère une ébauche de crédibilité écologiste. Ne se présentant que dans certaines circonscriptions en vue de favoriser une majorité de gauche, les 3 députés obtenus ne constitueront qu’une petite force d’appoint pour l’instant.

Podemos résiste, mais stagne

 Si Podemos n’est probablement pas sans tort dans la non-conformation d’un gouvernement de gauche, son influence s’est fait sentir lors du bref mandat qui s’est achevé en avril, obtenant certaines mesures à caractère social -telle la hausse du salaire minimum- d’un PSOE gouvernant en solitaire. Pablo Iglesias s’était heurté à l’intransigeance de Pedro Sánchez à l’heure des négociations, acceptant même de renoncer a sa propre présence dans un hypothétique gouvernement de coalition, et la prédisposition de Pedro Sánchez à l’égard de celui-ci et de son groupe parlementaire ne semble pas avoir fondamentalement évolué. Podemos et ses 35 députés devront mieux s’y prendre cette fois afin de lui faire comprendre que sa majorité est insuffisante pour gouverner en solitaire et que gouverner à gauche implique de le faire avec les alliés que les électeurs ont bien voulus lui donner. Notons que si le PCF ne s’était finalement pas dissous dans le Front de Gauche, Izquierda Unida fait désormais figure de courant de Podemos, l’ayant notoirement alimenté en cadres et participant de ses décisions.

L’heure d’un gouvernement de coalition à gauche

 Le nombre de millionnaires espagnols a quintuplé au long des derniers neuf ans, une période de crise aiguë qui a profité aux mêmes qu’ailleurs dans le monde. Et si les enjeux dus aux ravages du libéralisme sur les structures sociales et sur l’environnement sont les mêmes que dans le reste de l’Union européenne, les pensions, retraites ou les minimas sociaux espagnols demeurent parmi les plus faibles de l’Union européenne. Nombre de jeunes talents universitaires se sont expatriés. Les enjeux territoriaux sont dignes d’une nouvelle Constitution pour une République fédérale et sociale. Si l’avènement de celle-ci parait utopique et la fin de la monarchie des Bourbons peu probable à court terme, il est désormais certain que ni Pedro Sanchez ni le PSOE n’en sont porteurs. Sauf rebond, constatons que sa social-démocratie s’est assise sur les bases idéologiques qui ont causé la perte de certaines de ses homologues. 

 Ses visites à Oliver Faure auraient dû faire réfléchir le leader du PSOE, peut-être l’un des derniers en condition d’atteindre le pouvoir, sur les risques qu’il encoure. L’oasis portugaise ne pourra en effet pas servir très longtemps de modèle étranger unique. Par ailleurs, et ceci afin de se mettre en situation d’exclure Podemos des postes de l’exécutif, un des arguments répétés à satiété par les petits télégraphistes socialistes -omettant au passage les 5 années de majorité plurielle des gouvernements Jospin- a été d’expliquer que depuis 1981 et l’élection de Mitterrand aucun gouvernement de coalition n’avait vu le jour. Leur logiciel n’est pas seulement à revoir, il est défectueux.

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