Le valencianisme politique et moi
Franco-espagnol de naissance, et officiellement binational depuis juillet 2014, c'est au consulat espagnol de Córdoba en Argentine et devant le consul, l'excellent diplomate que le royaume comptait alors là-bas, que je promettais loyauté au roi tout fraîchement sacré, fils de son père, et cela tout républicain que je puisse me sentir. J'en connais, à Montréal, qui ont du jurer fidélité à la reine d’Angleterre. Quant aux consuls d’Espagne il faudra que j'évoque un jour de celui tout aussi gâteux qu'honoraire qui m'accueillit à Catamarca.
J'ai passé a peu près la moitié de ma vie dans chacun des pays, m'étant installé après mes études dans le pays de ma mère. Et si je suis arrivé espagnol, je me sens plus valencien désormais. Je vais tenter d'expliquer le pourquoi du comment.
Le drapeau espagnol fut depuis toujours autant mon drapeau que celui de la France, il ne me serait pas venu à l'idée de me décider entre papa et maman. Même plus, lors les rencontres sportives, je préférais que le Real Valladolid batte AS Monaco, par exemple. En coupe d'Europe, eh oui Valladolid l'a joué. Peu de fois pour une ancienne capitale de Royaume. Et non Monaco n'est pas vraiment en France, mais bon ils en jouent le championnat.
Pourtant une fois les Pyrénées franchis on se rend bien compte que ceux qui le plus vaillamment le brandissent souvent le salissent. Dans les manifs auxquelles j'assistais on agitait plutôt des drapeaux républicains. Ou "catalanistes de gauche" dans ses différentes variantes, certains drapeaux incluant le Pays Valencien, les Baléares ou encore la Catalogne du nord, du côté de l'hexagone ; d'autres symbolisant uniquement le Pays valencien. Une réalité périphérique. Mais périphérique par rapport à quelle centralité, au juste? À celle de la Castille, évidemment !
Ce sont les fachos, ceux du PP, accompagnés aujourd'hui de ceux de Vox, une extrême droite institutionnalisée inconnue dans ma jeunesse, les héritiers du Caudillo tous ensemble, quoi, qui se baladent avec des drapeaux espagnols. Parfois orné d'un aigle, même. De temps à autre, au gré de ses intérêts électoraux, la gauche PSOE, le centre, si tant est qu'il existe, ressort ses drapeaux bicolores afin de le mettre en évidence lors de certains meetings.
Enfant, j'avais bien remarqué lors de mes séjours familiaux à Alzira que mis à part le castillan on y parlait une autre langue, y compris à la maison. Chez les voisins, j'avoue, elle paraissait moins castellanisé et aseptisée et sonnait à mes oreilles bien plus rustique, rugueuse, voire vulgaire, que le valencien parlé à la maison. Ou le catalan ?
Là se trouve une question résolue depuis longtemps par les linguistes mais encore aujourd'hui objet de discorde de la part de la droite valencienne depuis la fin des années 70, à peu près. Le valencien est un dialecte du catalan. Point. Certains vont jusqu'à prétendre que c'est l'inverse, nombres des premiers auteurs en cette langue ayant vu le jour en terres valenciennes. Pourquoi pas ? En tout cas les positions qui revendiquent une séparation nette entre le valencien et le catalan relèvent plus de constructions politiques ou de vues de l'esprit. Des normes linguistiques prétendant dissocier le valencien du catalan furent établies par ceux qui y voyaient une opportunité de marquer leur territoire idéologique : Les Normes del Puig.
En parallèle aux mandats de Felipe González la région vivra ceux de Joan Lerma, laborieux social-démocrate nettement moins flamboyant que le leader de son parti, le PSOE. Sous les auspices du florentin Ciprià Ciscar comme ministre valencien de l'éducation, la droite locale se plaindra qu'on enseignait le catalan et non pas le valencien à ses rejetons. Que de temps perdu et de pages de journaux remplies.
Dans la région de València la langue autochtone se parle ou non très exactement selon que les bouts de terres des locuteurs furent conquis au long des siècles sur le Royaume de Castille par le Royaume de Valence, lieux où l'on ne la parle pour ainsi dire pas, et les autres, les terres originelles en quelque sorte. Terres originelles qui se divisent elles-mêmes pour ce qui concerne la langue entre celles occupées par une majorité d'aragonais ou de catalans On constate clairement qu'il s'agit là d'un facteur d'intégration lorsque l'on entend aujourd'hui des jeunes dont les parents sont originaires d'Europe de l'Est, d'Afrique ou d'Amérique latine s'exprimer dans un valencien parfait.Tout comme nombre de de descendants de familles venues peupler le Pays valencien depuis d'autres régions pendant la dictature franquiste.
Plusieurs éléments permettent encore aujourd'hui à la droite locale -et nationale- de se raccrocher à un anticatalanisme primaire. Un des partis au pouvoir aujourd'hui dans la Communauté valencienne entretien de longue date des liens avec les partis nationalistes catalans. Les pires de cette coalition, à mes yeux, certains anciens du Bloc, parti nationaliste (régionaliste ?) qui fricotait avec la droite nationaliste catalane allant jusqu'à inclure des candidats au sein de leurs listes aux européennes.
Le Bloc, renommé l'année dernière. Je ne découvrais réellement son existence qu'après mon installation ici. Des intellos de la gauche valencianiste menaient parfois leurs listes électorales, comme Ferran Torrent, un des rares écrivains que j'ai lu en entier en valencien, redoutable contempteur des travers des politiciens valenciens. Ou encore Joan Francesc Mira, dont la femme a fait ses études en compagnie de ma maman. Ni eux ni les autres référents du valencianisme politique comme Joan Fuster, que l'on célèbre cette année, ou les précurseurs comme Ausiàs March ne sont vraiment très connus au pays de Molière. De chanteurs comme Raimon (merci maman pour ce fabuleux vinyle qui traînait à la maison, tu l'as aussi croisé à la fac, celui-là), engagé dans l'antifranquisme et dont une des plus belles prestations sera enregistrée à l'Olympia, on éprouve l'impression que la France a plus rompu avec eux que l'inverse.
Je les trouvais plutôt sympas ceux du Bloc, en plus le grand gominé des jeunesses de ce parti et ses ami(e)s qui rejoignaient les fêtes des leurs homologues socialistes le samedi soir me semblaient plutôt aimables. Je me débrouille en valencien, qui plus est, une singularité qui donne envie de défendre une langue que le Caudillo cherchait à annihiler.
Suite à la lecture d'un livre de Torrent que je lui avais prêté un ami (de droite conservatrice) me dira un jour, tout en reconnaissant sa qualité : " mais c'est écrit en catalan, pas en valencien ! ".
Au delà des symboles le valencianisme politique de gauche doit permettre de focaliser le zoom avec plus de garanties sur les doléances régionales. De défendre une identité mieux que d'autres, indéfectiblement liés aux tractations de couloir des sièges madrilènes de leurs partis, capables de convertir en serpent de mer la résorption de l'infra financement dont souffre le Pays valencien depuis plusieurs années déjà, par exemple. Il doit encore permettre de tenter d'assaillir les compétences sur les chemins de fers régionaux, gérés par l'État, et si défaillants.
Alsacien en plus de valencien je n'ai pas connu en Alsace de régionalisme vivace. L’autonomisme alsacien de gauche est pour ainsi dire inexistant. Et celui de droite que je connu dans ma jeunesse consistait essentiellement en une petite boutique d'anciens du Front National. J'assistai aussi à quelques numéros de clown de Ferdinand Moschenross. Il convient de signaler que la grande majorité des rares sociaux-démocrates ou syndicalistes autonomistes alsaciens d'avant-guerre rejoignirent tristement les rangs de l'occupant nazi. De quoi refroidir les ardeurs.
Un autonomisme alsacien, républicain, de gauche et européen qui prendrait le pas sur l'actuel trouverait grâce à mes yeux à l'heure où la région historique se retrouve diluée dans la région "Grand Est", un nouvel échelon d'une nouvelle structure administrative difficilement acceptable, comme le prouve la fusion plus symbolique qu'effective des deux départements alsaciens.
Alsacianisme dans l’inconscient populaire signifierait plutôt une faute de français due à une traduction littérale depuis le dialecte rhénan, je revendiquerais plutôt un alsacianisme positif, fidèle aux valeurs de la Révolution, des Lumières, de la République, et opposé au concordat.
Au jeunesses socialistes du Pays valencien l’exécutif régional s'intitulait "ejecutiva nacional" et l’exécutif national "ejecutiva federal". Tout était à peu près dit, dans une région qui n'est pas une nation et une nation qui n'est pas une fédération. Officiellement, en tout cas, dans les faits plutôt une espèce de nation entre les nations dans un schéma asymétrique, par contre exclue du club sélect de celles reconnues comme "historiques" par la constitution espagnole.
C'est à dire que si chaque région compte son propre gouvernement et son propre parlement, leurs compétences sont dissemblables. Le Pays basque dispose de sa propre police (en plus de son propre trésor public), la Catalogne aussi, qui gère également ses établissements pénitentiaires. Les autres communautés autonomes non. Et ainsi de suite.
La dénomination de Communauté valencienne figure parmi les compromis de la transition démocratique espagnole à l'échelle de la région. Un nom tout aussi rance qu'administratif et inventé de toute pièce. On lui préférera "Pays valencien", acception tout aussi officielle même si malheureusement secondaire. Si tu souhaites irriter une personne de la droite valencienne il te suffira d'invoquer ou d'évoquer les Pays catalans.
Pour ce qui concerne le mythe fondateur de Jaume Ier, ou Jacques Ier d'Aragon, c'est bon. Il embrasse depuis l'extrême gauche jusqu'à l'extrême droite locale. Né à Montpellier et mort à Alzira, la ville de ma maman, donc. Parmi les rares événements historiques de ma région auxquels j'eu affaire à la fac à Strasbourg, les "Germanies".
A ce tarif là je plaide pour un républicanisme valencianiste de gauche (de toute façon au sein de l'État espagnol si tu es républicain tu es gauche). Coupé du catalanisme le plus fervent mais conscient du fait que, quitte à appartenir à une monarchie anachronique, le mieux sera encore de gérer le plus d'affaires possibles à hauteur d'une nation putative plus grande que la Croatie, par exemple. Cela ne m'empêchera pas d'avoir un peu de mal avec le son de la dolçaina lorsque l'on en joue trop longtemps ainsi qu'avec plusieurs membres éminents du Parti Socialiste du Pays Valencien.
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