Bruno Lomas, le "Johnny Halliday du rock valencien", le "pote à Johnny", tout du moins.


 

Vous n’avez probablement pas entendu parler de Bruno Lomas ni de la plupart des groupes de rock espagnol revendiquant son héritage. Je suis là pour combler ce manque et j'évoque aujourd’hui la carrière du Johnny Halliday valencien.

Bruno, Emilio Balldoví Menéndez de son vrai nom, originaire de Xàtiva, ne fut pas seulement le contemporain de Johnny. Les deux rockers se connurent et fréquentèrent, allant jusqu’à partager, un soir de juillet 60 ou 61, la même scène de la Feria de Julio de Valencia.

Bruno s’affichait en ces temps comme vocaliste et leader des Milos, à la tête desquels, et tel nombre de crooners français ou italiens, il reprend des standards du rock anglo-saxon. Son groupe produit des covers d’honnête facture parmi lesquelles nous mentionnerons Lucila (« Lucille » de Little Richard) : https://www.youtube.com/watch?v=ur_MGscBmdI  ou encore « Blue Suede Shoes », qui devient Zapatos Azules de Gamuza (!)  https://www.youtube.com/watch?v=PLTOFuKavMs . Vous avez dit les chaussettes noires ? Les chats sauvages ? En effet, le lien parait évident si l’on excepte que la version espagnole de ces importations musicales parait toute de suite moins banale si l’on se situe dans un pays se trouvant encore sous le joug franquiste. À une époque où, de ce côté-ci des Pyrénées, l’acquisition d’instruments n’est réservée qu’à une élite, la famille de Bruno, dont le père est médecin militaire, rentre dans ce schéma. N’empêche, le rejeton, d’abord rangé, mais intrinsèquement non conformiste, deviendra un pionnier.

Peu après sa première rencontre avec Johnny, le producteur de l’époque de celui-ci invite Emilio à se produire en territoire français. Ses compagnons des Milos -trop fils à papa ? On s’interroge- se refusent à réaliser la tournée en sa compagnie. Emilio s’en accommode et deviendra pour le reste de sa carrière un soliste entouré de groupes de musiciens à la composition variable. De sombres raisons dont l’industrie musicale a le secret provoqueront la publication de E.Ps enregistrés au préalable avec les déserteurs sous le nom de Top Son. Une occurrence patronymique bien pourrie, on en conviendra.

La rencontre avec Bruno Coquatrix sera décisive pour la suite des événements. Au point qu’Emilio s’approprie le prénom du célèbre imprésario. Et c’est sous la dénomination de « Bruno et ses rockeros », conjonction et adjectif possessif en français sur les affiches s’il vous plait, qu’il donne plusieurs concerts en France entre 63 et 64. Avec en point d’orgue du périple une présence sur la mythique scène de l’Olympia. 

L’entregent de Coquatrix a fonctionné, mais on ne saurait dire que ce succès d’estime se soit inscrit dans la durée dans les contrées francophones. Qui aujourd’hui en France a entendu parler de « Bruno et ses rockeros » ? Ils jouèrent pourtant, en pleine effervescence yéyé, lors des fêtes de fiançailles de Johnny et Sylvie ! Cette effervescence présentera le défaut de déteindre sur les plus médiocres chansons ainsi que sur les rares et faiblardes incursions cinématographiques de notre grand homme.

Un modeste enregistrement d’un double single chez Barclay matérialisera les séjours en France de l’Elvis valencien, qui adaptera également dans la langue de Cervantes « Love me Love me » de Polnareff. À la suite de son retour sur son sol natal notre interprète, non sans avoir abandonné ses études de droit, se rebaptise définitivement. Son blase artistique se voit adjoindre un nom de famille, celui sous lequel il s’inscrira dans la légende du rock espagnol et sera signé par EMI : Bruno Lomas. 

Loma signifie « colline », et ce serait la vue de plusieurs d’entre celles composant un parage situé entre Valencia et Bétera qui aurait inspiré ce choix de patronyme artistique. Bruno Collines s’entêtera longtemps dans les reprises en castillan, adaptant plusieurs fois lui-même les paroles. Fleur bleue ou tintées d’une certaine poésie, bien senties et n’ayant la plupart du temps rien à envier aux versions en français c’est la puissance de leur interprétation qui lui conférera le statut de mythe.

C’est ensuite, à partir de 1966, dans ses propres compositions et dans celles conçues pour sa personne, que notre rock legend excellera. Abordons ici le bijou dévoilé par cet article, le motif suffisant pour en être parvenu jusqu’ici. La découverte du jour, la pépite , nous la tenons là: https://www.youtube.com/watch?v=mrKeei4XQUU . « Amor Amargo » un de ses principaux succès, délicatement adapté au français pour ce qui concerne les paroles. Bon, le début peut laisser sceptique, mais on imagine aisément les efforts mis à apprendre et prononcer : « Peurquoi c’est l’armée du pourquoi ? -Aaaahahahahahahaha -pourquoi ces larmes reupond moi ». Ça ne commence pas sur les chapeaux de roue, mais la chanson se laisse écouter et finit par transmettre toute l’amertume de son amour frustré. Sa version originale connut un grand succès et l’on pourra déguster une bière valencienne particulièrement enthousiasmante dont le nom reprend le titre. L’amertume sied d’ailleurs mieux au palais qu’au cœur.

Sympathisant de droite, fan des armes à feu, à tort ou à raison suspecté de machisme (détectable sur certains de ses titres ?), trop marginal pour les conservateurs, trop conservateur pour les rebelles, Bruno Lomas demeurera un outsider de la culture rock hispanique. Une étoile au firmament pendant les années 60 puis pâlissante dans les années 80. Indéracinablement valencien, renonçant à une installation durable à Madrid ou à Barcelone susceptible de consolider sa gloire, son déclin s’amorce alors que le souffle démocratique voit naître la movida. Certains rockeurs contemporains, tel le chanteur valencien du groupe Seguridad Social José Manuel Casañ, se plaisent à revendiquer l’héritage sous-estimé d’un valencien ayant aussi chanté du rock en langue autochtone : https://www.youtube.com/watch?v=uOtB9SSXSiI

À mettre également au crédit de cette star trop locale, aux qualités vocales et scéniques indéniables et qui -contrairement à Johnny- fut elle-même auteure de plusieurs de ses succès, le premier disque de rock espagnol enregistré en direct (à Barcelone).

S’il partageait avec Johnny l’amour de la musique et celui de la dilapidation d’argent, c’est celui ressenti pour les bécanes qui aura raison de lui. Car la fascination pour les Harley de Johnny n’avait d’égale que celle qu’éprouvait Bruno Lomas pour les voitures haut de gammes. Et c’est justement, en 1990, un accident automobile, le énième selon des témoignages concordants, qui mit tragiquement fin à la décadence du chanteur. Après avoir sombré dans l’oubli et écumé les fêtes de villages de la région valencienne au cours des années 80 il périt peu après avoir écrasé sa Mercedes contre un camion.  Une fin tragique qui intervint au moment où l’idole démodée semblait décidée à mettre de nouveau les pieds dans un studio d’enregistrement.

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