La mort de Canal Nou

                                                                            

 
 S’il existe un événement télévisuel de ma région d’adoption digne d’être vu et connu pour sa bizarrerie, son surréalisme et une certaine épique de la déchéance il s’agit bien là de l’agonie de la première version de la télé régionale valencienne, un jour de novembre 2013. Et ce durant les douze (!) que durèrent, retransmises en direct les affres et les moments glorieux qu'invoquèrent cette cérémonie haute en émotions.

Ayant vu le jour en 1989, au cœur des mandats (1982-1995) du président social-démocrate Joan Lerma, celle-ci se voulait le fer de lance de d’une politique audiovisuelle propre à la région et était en charge la diffusion de la langue valencienne. Ses premiers pas eurent lieu le 9 Octobre, jour de la « patrie » valencienne (https://lepetitjournal.com/valence/actualites/9-de-octubre-un-jour-tres-special-pour-les-valenciens-56396 ) et sont visionnables sur Youtube, ici le premier JT : https://www.youtube.com/watch?v=IshemCGbYh0&t=1046s . Joli jeu de mot que celui de son patronyme, Canal 9, « nou » signifiant non seulement « neuf » en valencien, mais aussi neuf de « nouveau ». Beaux augures, donc, en un jour lourd de symboles.

Un beau bébé

 Caméras, action ! Du sérieux et de l’application pour les débuts de jeunes journalistes engoncés dans leurs costards de l’époque, à la hauteur de l’événement et informant pour la première fois leurs concitoyens de la région dans leur propre langue. Nous en retiendrons comme une sensation de fraîcheur, de nouveauté. De ces extraits de la fin des années 80 valenciennes télévisées, de l’attitude de ses présentateurs, ou des interviewés, d’ailleurs, se dégage une impression de confiance en l’avenir, voire d’une certaine insouciance, malgré de rares allusions a des problèmes sociaux en apparence marginaux. Le futur semble radieux, et les entrepreneurs satisfaits. Ils parlent investissements, en milliards de pesetas.

Trois ans plus tard Barcelone accueillera les Jeux Olympiques, Séville l’Exposition Universelle. Cette dernière se verra attribuer une ligne ferroviaire à grande vitesse la reliant à la capitale, Madrid, par la même occasion. La Communauté valencienne fera parfois figure de parent pauvre, de région restée dans les starting-blocks de la modernisation. Gageons que c’est en partie sur les frustrations dues à cette absence de perspective que reposera le premier succès électoral de la droite régionale depuis l’avènement de la démocratie espagnole de 78, en 1995, et qui ouvrira une longue ère de gouvernements despotiques et hyper-corrompus.

La télé du régime

 A l’aune des changements politiques, la chaîne de télé régionale devint un outil de propagande forcenée. Il serait intéressant de revenir sur plusieurs épisodes bien honteux de ces années de télé à la solde du pouvoir. Comme le lourd silence sur le plus grave accident de métro de l’histoire d’Europe, concomitant à une visite du pape d’alors, elle bien diffusée, et qui donna lieu à de vastes dépenses somptuaires, commissions et rétro-commissions : https://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_de_m%C3%A9tro_du_3_juillet_2006_%C3%A0_Valence

Notons toutefois que cette première chaîne fut assortie d’une petite sœur, un deuxième canal valencien, Punt 2, théoriquement accès sur l’éducation et la culture. Celle-ci apportera quelques moments de décence à un ensemble de productions audiovisuelles non seulement chères mais essentiellement vouées à la course à l’audience, et ce quel que soient les sommets de vulgarité à atteindre dans la poursuite de cet objectif. Il convient de signaler également l’honnête tenue de plusieurs des émissions de la radio publique du même groupe.

Bien qu’elles en vaillent la peine nous ne nous attarderons pas plus longtemps sur ces années mais sur la fin d'une époque. Une époque repue d'excès dans la flagornerie de la part de journalistes passablement soumis. L'incessante invisibilisation des opposants politiques au parti au pouvoir, les JT dignes de la grande époque de la dictature albanaise, les émissions people sommets de bêtise, auront un coût. Sans cesse en augmentation du fait d'un recrutement surdimensionné, des dépenses somptuaires, d'achats hors de prix sur les marchés des films et séries, des émissions people, du foot…

La conséquence directe de cette longue et constante décrédibilisation puis de la baisse de ses audiences, après des époques de rentrées publicitaires satisfaisantes, sera une bonne banqueroute. Et une tentative du gouvernement valencien de licencier 1000 des 1700 employés de la BBC valencienne qui se verra annulée par la justice.

 Après avoir cassé son jouet, la droite valencienne consommait la mort de la télé publique régionale (et des deux chaines de radio qui allait avec) en déclarant sa fin.

Un final en forme feu d’artifice

 Une mort qu’elle souhaitait brutale mais qui finira par lui exploser entre les mains. En fait de décès sur le coup, et tel un roman s’étendant sur une seule journée ce sont de longues et rocambolesques heures de télé qui s’offriront à nos yeux ébahis.

 Non contents d’abréger abruptement les souffrances financières de l’audiovisuel valencien public grâce a une loi passée au parlement valencien le gouvernement régional ordonna la fermeture de la principale chaîne sans prendre la peine de passer par le tribunal. 

La suite des événements évoque l’humour absurde d’un Gaston Lagaffe, des pied nickelés ou des Monthy Pithon, rattrapés par les occurrences de politiciens d’opérette.

 Un grand guignol, la mise en place spectaculaire d’un acte d’une douzaine d’heures que Deleuze ou Bourdieu n'auraient eu aucune peine à décrire. Un théâtre sociétal sous une forme apothéosiaque et aboutie. 

En lieu de planches un plan unique sur un plateau de JT, durant des heures, plateau où des politiciens d’opposition n’y ayant jamais été invité auparavant côtoyèrent des journalistes les ayant ignorés pendant des années. Tout le monde se serrait les coudes, dans une curieuse détresse collective, émanant d’un ensemble improbable auparavant jamais réuni. Des dizaines de journalistes mis sur le carreau, le personnel technique sur le point d’être licencié après avoir été amputé de plusieurs charrettes dans les mois précédents avaient enfin voix au chapitre. Sur leur propre chaîne de télé, chez leur employeur. Mais le sérieux de la situation n’empêcha pas la succession d’événements burlesques.

Les sous-doués ferment une télé régionale

 Des cameramen mobiles filmaient l'invraisemblable situation tout autour des bâtiments. Les immeubles du siège de la télé étaient entourés de vigiles qui en bloquaient les accès, pendant que des personnes franchissaient des barrières de sécurité, des grillages, cherchant à assiéger les lieux afin  de parvenir jusque sur le plateau.

Pendant que l'ordre de fermeture émanant du tribunal se faisait attendre, ce fut la foire d’empoigne généralisée durant toute la nuit et jusque vers midi. 

Le point d’orgue indéniable, le clou du spectacle : l’irruption de « Paco Telefunken » surnommé ainsi dans son -joli- pueblo, Gata du fait de ses aptitudes professionnelles. Une vague relation d’un notable du parti au pouvoir dans la région, apparemment. Et voilà-t-il pas qu’il fait son apparition, en préposé qu’il est à la coupure des câbles qui permettront l’extinction définitive de la chaîne. On l’aperçoit décontenancé, poursuivi par des journalistes dans les couloirs de la même chaîne, alors en pleine effervescence : https://www.youtube.com/watch?v=Jr-fTh4EQ24

Mais Paco, face a cette difficile tessiture, fermer la seule télé digne de ce nom en langue valencienne, renoncera finalement. Une capitulation puis un retour au village qui lui permettront de finir en héros : https://www.youtube.com/watch?v=WxZnUQ5De-o .

L’orchestre bizarroïde constitué de journalistes, hier manipulables et ce jour-là soudainement révoltés, continuera de jouer sur le plateau principal converti en tête de manif’. Les politicards du PP qui avaient usé leur canal de télé jusqu’à la corde restèrent eux sagement reclus chez eux. Le président régional coupable de la fermeture, qui sera honni sur le moment, « démission ! », se voit traité aujourd’hui avec les égards et les honneurs du sénateur qu’il est devenu.

Et voici la fin du show, un événement incontestablement marquant de l’histoire des médias, 12 min ici, https://www.youtube.com/watch?v=q-thAMznBDM ou une minute ici pour les impatients : https://www.youtube.com/watch?v=VH7pdx9TdP8 .

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